4 février : Paradise Bay, péninsule Antarctique (Lat 64°53’S - Long 62°52’W)
Néko Harbor, péninsule Antarctique
(Lat 64°50’S - Long 62°33’W)
Nous nous levons déjà excités à l’idée de débarquer enfin sur le continent sous un soleil radieux, le souvenir de la nuit étoilée nous laisse aucun doute quant au temps : il fait beau. Raté, le soleil sans doute fatigué du combat mené hier contre les nuages a décidé de faire la grasse matinée pour récupérer.
C’est la plus mauvaise matinée que nous ayons eue durant le voyage, le ciel est bas comme jamais il a été, il pleut-neige la visibilité est réduite. D’un coup on a le moral dans les chaussettes, on a presque envie de se recoucher et de pleurer, car avec ce temps une question insidieuse envahit notre esprit : va-t-on pouvoir débarqué ? N’y tenant plus je m’habille en vitesse et je monte sur le pont supérieur, avec l’espoir que ma vision réduite du hublot ne soit pas généralisée à l’endroit où nous nous trouvons. Les micro climats ça n’existe pas en Antarctique ? Eh bien je peux vous répondre : c’est non, car arrivé sur le pont je regarde à 360° et à la fin le moral n’est plus dans les chaussettes, il est même pas dans la cale du bateau mais dans le tréfonds des abysses. C’est pire qu’à travers le hublot. Franchement où vont-ils chercher les noms des sites « Baie du paradis » je décide illico de rebaptiser le site en « Baie du désespoir ». Non mais !!!

Cependant, tout ne va pas si mal, puisque nous allons débarquer, mais oui, c’est pas une blague, allait y vous pouvez vous pincer. La base, ou du moins l’ancienne base, est argentine, elle est actuellement fermée suite aux évènements qui s’y sont déroulés. Laissez moi vous raconter, et vous comprendrez que le nom de la baie c’est n’importe quoi et que le mien lui va comme un gant.

Donc il y avait une équipe de scientifiques sur cette base dont le responsable était physicien. Cela faisait plusieurs fois qu’il demandait à être rapatrié avec son équipe en des terres où les hivers sont moins rudes après avoir résisté 3 hivernages je crois. Fin 1984, voyant un nouvel hiver approché à grand pas et devant l’absence de réponse de l’autorité dont il dépendait, il craqua et en désespoir de cause il mit le feu à une partie de la base. Devant de tels agissements et voyant la détermination du physicien dont les neurones semblaient ne pas pouvoir survivre à un nouvel hivernage, l’autorité rapatria dans l’urgence toute l’équipe des scientifiques !!!!. Alors quel nom vous semble le milieu adapté à cette baie : celui du « paradis » ou du « désespoir ».
Ca y est nous marchons sur le continent antarctique, nous grimpons même une petite colline couverte de neige, qui tombe d’ailleurs à ce moment là. De cette hauteur nous avons une large vision de la baie, enfin large est un grand mot puisque la brume est toujours présente, quand c’est bouché c’est bouché. Eh, Eole, qu’est-ce que tu fais, pour une fois qu’on aurait besoin de toi… Dans la brume et à l’aide du zoom de ma caméra je distingue au loin un voilier, oui, oui vous avez bien lu un voilier voiles abattues avançant au moteur. Eux aussi devaient maudire Eole. Vision néanmoins quelque peu surréaliste et donc magnifique.
Mais dans cet endroit, j’ai trouvé mon petit paradis qui m’inspira grandement pour quelques photos : une petite cabane avec un pont en bois. Vous ne pouvez pas savoir comme je l’ai aimé cette cabane, posée là sur un petit rocher avec autour la brume, les murs de glace, les montagnes environnantes, le silence, une ambiance extraordinaire, envoûtante, d’une sérénité sans égale. Finalement son nom : la baie « Paradis » lui va comme un gant…

Retour sur le bateau et navigation vers notre dernière escale du voyage sur le continent antarctique.
La baie « Néko harbor » fut découverte par le navigateur belge Gerlache lors de son expédition antarctique de 1897-99. Le nom vient d’un bateau usine norvégien le « Néko » qui opérait dans la région en 1911-12 et 1923-24. L’endroit ou nous avons débarqué est constitué d’une baie avec en face de nous à 100 m. Un immense glacé dont la paroi tombait sur la baie mesurait bien 20 m. Le dessus du glacier en partie craquelé par ces mouvements. Je ne sais pas si c’était lié au fait que c’était notre dernier débarquement, mais l’ensemble des voyageurs étaient silencieux et sérieux.

La plupart assis en train de regarder pour la dernière fois les manchots : ces petits animaux si attachant dont on ne se lasse pas de suivre du regard amusé, de les voir se déplacer sur tout type de terrain avec une démarche si typique et qui arrachera toujours un sourire à la personne la plus sérieuse qui puisse exister(vidéos
saut, marche). D’autres contemplaient le mur de glace en face de nouveau avec le secret espoir de voir tout un pan s’en détacher et tomber avec fracas dans l’eau. Nous entendions des craquements et des bruits sourds de chute, mais comme pour le soleil, nous avions oublié de cocher « voir tomber des pans de glace dans l’eau », le temps se lève un peu et pour nous donner encore plus de regret le soleil, vient même nous dire au revoir, en nous gratifiant de sa lumière pendant cette ultime étape. C’est donc le cœur serré que nous embarquons sur les zodiacs sachant que nous ne les utiliserons plus sauf catastrophe de retour, mais comme je suis là à écrire ces lignes, il n’y en eut donc point.

En fin d’après midi, nous naviguons vers la baie Dallmann entre les îles Brabant et Anvers avec ces magnifiques paysages de montagnes, de glaces, de calme et de sérénité, le temps est de nouveau couvert, il fait froid, le ciel est bas, la brume présente accompagnée d’un crachin et Eole nous accompagne comme à l’accoutumé. Nous voyons nos derniers icebergs toujours aussi majestueux et différents selon l’angle où on les regarde. Nous sommes escortés quelques instants par un couple de baleines qui nous font l’honneur de quelques apparitions accompagnés de ahhhhh et ohhhhh des voyageurs présents sur le pont à ce moment si fugitif. Malgré le froid, l’humidité et le vent nous avons du mal à rentrer à l’intérieur du bateau pour nous réchauffer, nous voulons profiter des derniers moments, les graver dans nos mémoires, user nos yeux sur le continent Antarctique avec ce qui l’accompagne glace : omniprésente, icebergs et animaux dans des paysages fabuleux même s’ils font parfois craindre le pire. Nous voudrions ne pas quitter cet endroit en fait, cependant le bateau avance inexorablement vers la fin du détroit et au-delà, les souvenirs du passage de Drake réapparaissent du tréfonds de notre mémoire.


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